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L'influence du Laurier-Palace

Laurier-Palace après l'incendieLe Laurier-Palace est certainement le théâtre qui a la plus triste histoire de toutes les salles que Montréal ait connu dans toute son histoire. Et celui qui a le plus influencé les lois relatives aux spectacles dans l'ensemble du Québec.

 

Le dimanche 9 janvier 1927, c'est vers midi que le théâtre situé sur Ste-Catherine près de Dézéry ouvre ses portes aux spectateurs impatients d'admirer les "vues animées" ainsi que le spectacle de burlesque qui doit suivre. Les enfants de moins de seize ans ne sont pas admis sans la présence d'un adulte avec eux, mais comme c'était souvent le cas au Laurier-Palace (et fort probablement ailleurs aussi), la majorité du public du dimanche après-midi est constitué d'enfants venus là avec ou sans l'accord de leurs parents. La police ferme d'autant plus volontiers les yeux sur ces irrégularités qu'ils ont des billets gratuits pour eux et leur famille! Ce 9 janvier 1927, la salle est tellement pleine que les jeunes sont debout dans les allées. Le projectionniste déclara au cours de l'enquête qu'il n'a pas vu plus que deux ou trois adultes au balcon du théâtre.

 

Soudain, alors que la salle rit de bon coeur devant la comédie projetée sur le grand écran, de la fumée apparaît dans la première rangée de la galerie. Le feu est pris sous le plancher, dans une trappe dont beaucoup d'employés ignorent même l'existence. Alors que la panique s'empare des enfants, quelques employés s'affairent à essayer d'éteindre le feu tandis qu'une couple d'entre eux essayent de calmer les enfants. Personne n'a alors la présence d'esprit d'allumer les lumières de la salle, ni d'ouvrir les sorties de secours... Dans la noirceur et la fumée, des enfants sautent du balcon pour aller s'écraser au parterre tandis que les autres se précipitent dans l'escalier. Lorsque la lumière se fait enfin, il est déjà trop tard.

 

L'escalier étroit est fait en forme de "C" carré: des marches, un palier et d'autres marches. Sur le palier, dans la bousculade générale, quelques enfants tombent, les autres viennent s'entasser par dessus. En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, un amoncellement de corps enchevêtrés bloque l'escalier jusqu'au plafond. Les corps sont tellement entassés que les sauveteurs sont incapables de les dégager. Il faut démolir un mur pour pouvoir les sortir de là et les emmener à la morgue. Soixante-dix-huit enfants, dont le plus vieux n'avait que 14 ans, ont péri ce triste dimanche 9 janvier 1927. Appelé par téléphone par ses employés, le propriétaire Ameen Lawand (frère du propriétaire du Dominion) était à son Théâtre Maisonneuve mais il a préféré rentrer chez lui pour appeler son avocat plutôt que de se rendre sur les lieux.

Le Laurier-Palace après l'incendie

intérieur du Laurier-Palace après l'incendieIl ressort de l'enquête du Coroner que la cause de ces décès est bel et bien la panique et non le feu en lui-même, dont l'origine pourrait être une cigarette échappée dans la trappe du balcon.  D'ailleurs, quand on regarde des photos du cinéma prise après la tragédie, il y a vraiment peu de trace d'un incendie qui aurait pu être bénin en d'autres circonstances. Le Laurier-Palace n'avait pas de licence d'exploitation le jour du drame, bien qu'elle ait été payée, mais Lawand n'avait pas payé le "sou du pauvre". De nombreuses irrégularités de tous ordres avaient été rapportées aux différentes autorités: des fils électriques non protégés, des boîtes à pellicule non-conformes (rappelons le danger des pellicules au nitrate qui s'enflammaient sans raison apparente), les portes du parterre une fois ouvertes bloquant en partie l'escalier de la galerie, présentation de vaudeville alors que seul le cinéma était autorisé, etc... La liste est longue!... Mais surtout, malgré les condamnations déjà reçues pour avoir admis des enfants en bas de l'âge légal ou pour avoir accepté plus de spectateurs qu'il n'y avait de places, Lawand continuait à exploiter ses salles de la même manière: illégalement!

 

Ameen Lawand, propriétaire, Michel Arie, gérant et Camille Buzzy, contrôleur des billets, furent tous trois déclarés coupables d'homicides involontaires par la Cour D'Assises Criminelles en octobre 1927. Lawand fut condamné à deux ans de prison, Arie et Buzzy à chacun un an.

L'influence sur les autres cinémas

Conséquence immédiate de cette tragédie: l'usage de la scène est interdit dans trente-et-une salles montréalaises (il y en a alors cinquante-huit sur l'ensemble de la ville), le Dominion faisant partie de la liste. Dans l'année qui suivit, tour à tour ils fermèrent leurs portes pour effectuer les travaux nécessaires afin de pouvoir être à la fois cinéma et théâtre avec des normes plus sécuritaires. Par exemple, la loi oblige des portes qui s'ouvrent vers l'extérieur et qui doivent rester libre en tout temps. Également, les dimensions des escaliers et passages sont agrandis. Les enfants de moins de 16 ans (accompagnés ou non) sont interdits dans les salles et ceci jusqu'en 1961!

 

Le Laurier-Palace quant à lui, bien que peu endommagé par l'incendie, fut détruit afin d'effacer des mémoires ce drame qui décima des familles entières (plusieurs familles perdirent deux enfants, une famille même perdit trois de ses quatre enfants!). Longtemps, un plaque fut apposée sur le bâtiment construit ensuite, mais le lettrage a disparu.

 

A plus longs termes, de nouvelles lois furent instaurées, notamment celle qui restera en effet jusque dans les années soixante-dix qui interdisait toute représentation les dimanches. De nombreuses autres recommandations ont été faites quant à la construction des bâtiments eux-mêmes afin de les rendre plus sécuritaires.

 

Bientôt cent ans nous séparent de ce dimanche noir, pourtant le souvenir persiste à travers les enfants et petits enfants de ceux qui ont perdu un ami ou un parent dans ce drame. Pourquoi ce drame me touche-t-il tant? Je l'ignore, mais parlant des théâtres de ces années-là, je ne pouvais pas ne pas parler du Laurier-Palace. Pas très drôle dans un site consacré au burlesque, mais c'est mon hommage personnel à ces 78 enfants, victimes innocentes de la soif de profit d'un homme d'affaire sans scrupule pour qui l'argent était plus important que la sécurité. En espérant que de nos jours une telle chose ne puisse plus se reproduire.

 

Références: La Presse, 10-11-12-13-14 janvier 1927.    La Presse, 25 octobre 1927.   Rapport de la Commission Nationale chargée de l'enquête sur l'incendie du Laurier-Palace.    Disponibles à la Bibliothèque Nationale du Québec.

 

Un article plus complet de l'incendie sur le blog de Studio Pluche