- Écrit par : Pat. V.
Lorsqu'en 1966, Gilles Latulippe commença à s'intéresser à l'achat d'un théâtre pour y faire revivre les grandes heures du burlesque et permettre à tous ces artistes exceptionnels d'offrir le meilleur d'eux-mêmes à leur public, le vieux Dominion sur la rue Papineau était déjà dans son colimateur. Mais malheureusement, quelqu'un d'autre le devança pour l'achat du bâtiment et c'est un cinéma, Le Figaro, qui ouvrira cette année-là au 4530 Papineau. Par chance, et non par hasard, les affaires ne furent guère profitables et Le Figaro déposa son bilan quelques mois plus tard. Le Dominion revenu sur le marché des théâtres disponibles, Gilles Latulippe se mit à nouveau sur la liste des acheteurs potentiels. "The rest is History", comme disent les Anglais.
En juin 67, en plein coeur de l'Expo et au début de la saison creuse pour les salles de spectacle, ce bon vieux Dominion était enfin rebaptisé Théâtre des Variétés. Jusqu'en septembre toutefois, il continue de fonctionner comme cinéma, permettant au nouveau propriétaire d'y faire effectuer quelques rénovations entre les séances.
Le 23 septembre 1967, le rideau se lève enfin sur la vraie vocation de ce théâtre: la comédie et les variétés. Gilles Latulippe a réuni pour la circonstance tous ceux qui, non seulement lui ont appris son métier, mais surtout qu'il admire passionnément et pour qui il a décidé de se lancer dans l'aventure du Théâtre des Variétés. Personne -- pas même Gilles Latulippe (devrais-je dire "surtout Gilles Latulippe"?) -- ne se doutait alors que, trente ans plus tard, cette salle vibrerait encore sous les rires et les applaudissements d'un public ravi. Ce 23 septembre, sur cette scène où nombre d'entre eux avaient déjà joué au temps du Dominion dans les années 30, Juliette Béliveau frappe les trois coups symboliques avant l'ouverture du rideau découvrant les Olivier Guimond, Rose Ouellette, Paul Desmarteaux, etc...
Dans les premières années de son existence, le Variétés présente des spectacles dans la tradition du burlesque: deux films, des numéros de variétés, quelques sketches et la 'grande comédie'. Pour un dollars et demi, on entrait là à cinq heures pm pour en ressortir vers onze heures, heure à laquelle le premier film était présenté une deuxième fois. Se succèdent à l'affiche tout ce que le Québec compte comme comiques, chanteurs, groupes musicaux ou chansonniers; de Jean Grimaldi à Jenny Rock, des Baronets à Manda Parent, de La Poune aux Jérolas, rares sont les artistes populaires du temps qui n'ont pas mis au moins une fois les pieds sur la scène du 4530 Papineau. Les spectacles ont lieu sept soirs par semaine et le programme est renouvelé toutes les semaines. Le public, lui, répond en masse à l'invitation de Gilles Latulippe au point que sept mois plus tard, le cap du cent-millième spectateur était déjà dépassé; une moyenne de quatre-mille personnes par semaine!
A l'été 1968, le Variétés met à l'affiche une comédie musicale pour tenter de rester ouvert à l'année longue, mais la tentative ne sera pas renouvelée d'une part parce que l'été est une saison creuse, même au Variétés, et d'autre part, jouant sept jours sur sept, il faut bien trouver du temps pour effectuer des rénovations et la maintenance des équipements. A l'été 1970 par exemple, on fait installer un plateau tournant sur la scène. Dès lors, le théâtre est ouvert trente-cinq semaines par an, sept jours sur sept.
La plupart des artistes qui jouèrent au Variétés avaient connu l'âge d'or du burlesque et connaissaient parfaitement le répertoire, les "bits" transmis oralement d'une génération à l'autre, ce qui laissait une grande place à l'improvisation... ou un semblant d'improvisation car une réplique impromptue n'est pas fatalement improvisée mais seulement bien placée. Le sens du "timing" de ces gens-là était inné. Les répétitions en vue d'un prochain spectacle étaient plutôt une rencontre amicale où on se distribuait les rôles. Quelqu'un arrivait en disant: "on fera tel 'bit'; toi tu fais le père, toi la voisine..." et chacun savait ce qu'il aurait à faire ou dire le spectacle venu. Le seul qui ne savait pas, c'était le directeur du théâtre: Gilles lui-même. L'intelligence de Gilles a été, après avoir lui-même appris le répertoire avec ces artistes-là, de réunir ces "bits" classiques dans les comédies qu'il a écrites et qui permettent à des comédiens n'ayant pas reçu cette formation orale de les jouer pour assurer ainsi une certaine postérité à un genre hélas quasiment disparu.
Au début des années 70, les films disparaissent pour faire place à des introductions musicales choisies par Fernand Gignac et Gilles Latulippe. Avec la saison 72-73, la formule change radicalement et le spectacle traditionnel fait place aux grandes revues musicales à plumes et à paillettes avec Guilda, dans lesquelles on retrouve toutefois certains "bits" qui permettent les changements de décors entre les tableaux. Ce changement d'orientation est peut-être, consciemment ou non, une conséquence du décès d'Olivier Guimond en novembre 1971; quoi qu'il en soit, cette forme nouvelle plaît au public qui reste plus que jamais fidèle au Variétés. D'autres formes de comédies musicales sont également présentées, avec notamment Georges Guétary en tête d'affiche. Au début, ces spectacles étaient présentés durant un mois, mais devant l'énorme succès, ils pouvaient rester à l'affiche trois mois durant.
De la fin des années 70 au début des années 90, la formule alterne les spectacles musicaux et les comédies écrites par Gilles Latulippe. Souvent, la première partie de la soirée est constituée d'une pièce de vaudeville et la seconde par un tour de chant. Fernand Gignac vient y faire son "pélerinage annuel", comme il dit, pendant plusieurs années. Même si le public fidèle au Variétés est de plus en plus vieillissant, il vient malgré tout par autobus entier applaudir les artistes populaires qu'il aime retrouver. Venir au Variétés, c'est comme aller chez des amis. On y rencontre des têtes connues, on placote, on peut emmener son popcorn et sa liqueur dans la salle, bref c'est une ambiance particulière qui rêgne dans cette salle et les habitués reviennent à chaque nouvelle programmation, quels que soient leurs problèmes d'arthrite. Fin des années 80, venir au Variétés leur procure une journée entière d'activités car la plupart arrive en ville vers onze heures pour assister aux "Démons du Midi" à Radio-Canada, puis un bon repas non loin de là; cinq heures pm à Télé-Métropole pour l'émission de Michel Louvain, suivi du souper et, finalement, huit heures au Théâtre des Variétés pour terminer la journée dans le rire. Sans doute une journée fatigante pour tous ces retraités, mais tellement bonne pour leur moral qu'ils sont prêts à recommencer dès le lendemain.
Avec les années 90, à nouveau quelques changements dans la programmation s'effectuent. La salle est louée plus fréquemment à d'autres artistes qui amènent avec eux un public qui autrement n'aurait sans doute jamais mis les pieds là. C'est le cas notamment de Claude Dubois (février 92) et de Patrick Huard (trois mois à guichets fermés à l'automne 95). Parallèlement, le Théâtre des Variétés s'exporte, d'abord sous forme de théâtre d'été en 94 à Shawinigan, puis en théâtre d'été à Drummondville suivi d'une tournée automnale à travers province comme c'est le cas depuis deux ans. Si le public commence à avoir de la difficulté à venir au Variétés, le Variétés ira à son public...
Gilles Latulippe a souvent répété qu'il n'y avait pas de relève pour jouer de la comédie burlesque. Je n'ai jamais été d'accord avec cette idée-là, je pense qu'il n'a pas été assez ouvert aux jeunes (il l'a été plus tard, en théâtre d'été). J'irais même jusqu'à dire que s'il n'y a pas eu de relève, c'est un petit peu de sa faute aussi. Malheureusement, il n'y avait pas non plus de relève au niveau du public, les jeunes étant moins attirés par ce style de comédie. Gilles a bien essayé les classiques du Vaudeville français, mais le rythme ne correspond pas au public du Québec. Le 28 mai 2000 a sonné le glas de ce théâtre que j'aimais tant et Gilles a mis la clé sous la porte. Ça lui a permis de passer ses hivers en Floride et de jouer l'été à Drummondville.
Quelqu'un a essayé d'ouvrir un Théâtre des Nouveautés mais cela ne s'est jamais fait et Gilles a perdu beaucoup dans l'aventure. Ensuite, est arrivé le Cabaret La Tulipe dont la première rénovation a été de supprimer tous les sièges du parterre pour en faire une salle multi-fonctionnelle. La salle fonctionne toujours, tant mieux, mais je pense que les fantômes ont dû déménager...